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Pas d’ingratitude pour l’auteur d’un délit d’abus de biens sociaux !

Civil - Personnes et famille/patrimoine
19/02/2019
Le délit d’abus de biens sociaux étant commis à l’encontre d’une société et non de la personne du donateur, il ne saurait caractériser une ingratitude du bénéficiaire et auteur du délit, quand bien même les parts de ladite société faisait l’objet de la donation dont est sollicitée la révocation.
Des parents ont consenti une donation-partage à leurs deux enfants, l’acte incorporant des donations antérieures. Aux termes de l’acte, le fils a reçu la nue-propriété de parts d’un holding détenant plusieurs sociétés civiles et commerciales.

Ledit fils a fait l’objet d’une condamnation pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d’abus de confiance à l’encontre notamment de la société holding. Les parents ont dès lors sollicité la révocation de la donation-partage pour ingratitude.
Les juges du fond ont fait droit à la demande des parents, considérant que le détournement des fichiers clients de la société avait pour but de concurrencer, de manière illicite, les sociétés créées par son père ; le fils avait dès lors manqué à une obligation de reconnaissance envers ses parents, caractérisant ainsi une ingratitude. La cour d’appel a dès lors estimé que le délit d’abus de biens sociaux était constitutif du « délit civil » visé à l’article 955, 2°, du Code civil, justifiant la révocation pour ingratitude.

La Haute juridiction censure la motivation, au visa de l’article 955 du Code civil :
« Attendu qu’il résulte de ce texte que la révocation d’un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l’encontre du donateur (…) Qu’en statuant ainsi, alors que, (le défendeur) ayant été définitivement condamné pour des infractions commises au préjudice des sociétés X et Y et non pour des faits commis envers ses donateurs, ces délits n’étaient pas de nature à constituer l’une des causes de révocation légalement prévues, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La première chambre civile se livre à une appréciation exégétique de l’article 955 du Code civil qui dispose : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les cas suivants : (…) 2° S'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ».

La liste édictée par ledit article est non seulement limitative mais d’interprétation stricte. Les délits visés doivent être commis à l’encontre de la personne du donateur. La société holding a manifestement fait écran à la caractérisation de l’ingratitude, quand bien même le délit d’abus de biens sociaux commis avait un impact sur les biens des donateurs, dans la mesure où ils s’étaient réservés l’usufruit des parts.

Pour aller plus loin, voir le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, n° 330-41.
Source : Actualités du droit