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L’action de groupe : un mécanisme à double détente et beaucoup de bruit pour quoi ?

Social - Fonction rh et grh
09/06/2017
Pour la première fois en France, une action de groupe a été activée par la CGT. Retour sur ce dispostif par Laurence Urbani-Schwartz, avocat associé, et Pierre Roquecave, avocat, du cabinet Fromont Briens.
 
Inventés aux États-Unis dans les années 1950, les « class actions » ont été adaptées dans plusieurs pays d'Europe et dernièrement en France avec la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette procédure permet à des consommateurs, qui se considèrent comme victimes d’un même préjudice de la part d’un professionnel, de se regrouper et d’agir en justice. Ce faisant, les plaignants peuvent se défendre avec un seul dossier et un seul avocat.

Cette procédure a ensuite été étendue en matière de santé par la loi du 26 janvier 2016. La loi du 18 novembre 2016 « de modernisation de la justice du XXIe siècle », complétée et précisée par un décret du 6 mai 2017, a modifié et étoffé cette procédure en l’étendant aux matières environnementales, de protection des données à caractère personnel et de discrimination dans les relations de travail.
L’action initiée récemment par la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT à l’encontre de la société Safran Aircraft Engine (lire notre actualité La première action de groupe est lancée) est l’occasion de revenir sur ce dispositif, s’agissant des discriminations dans les relations de travail.

1. L’objet de l’action

L’action de groupe vise les situations où plusieurs candidats à un emploi (ou à un stage ou à une période de formation en entreprise) ou plusieurs salariés, placés dans une situation similaire, considèrent subir un dommage causé par un même employeur. Ce dommage doit avoir pour cause commune une discrimination directe ou indirecte, imputable à cet employeur, fondée sur un même motif, c’est-à-dire l’une des discriminations énumérées à l’article L. 1132-1 du Code du travail. Le champ des possibles est donc particulièrement vaste.

De façon très convenue, c’est sur le fondement de la discrimination syndicale que la CGT a initié le 23 mai dernier son action à l’encontre de la société Safran Aircraft Engine. La forte médiatisation entourant cette action semble à la fois résulter du fait qu’il s’agit de la première action de ce type en droit du travail, d’une part mais aussi d’une volonté d’occuper la scène sociale par une organisation syndicale qui perd de plus en plus de terrain…, d’autre part. La mise en œuvre de cette action a pour objet la cessation du manquement invoqué de l’employeur à ses obligations en matière de non-discrimination et, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis. Le champ de l’action de groupe se trouve ainsi élargi dans la mesure où les anciens dispositifs en matière de consommation ou de santé étaient uniquement des actions en responsabilité. Elle ouvre donc la possibilité d’obtenir du juge (Tribunal de Grande Instance) qu’il enjoigne à l’employeur de faire cesser le manquement qui lui est reproché. Si la loi vise une réparation de l’intégralité des préjudices invoqués, y compris moraux, elle limite toutefois la possibilité d’indemnisation aux seuls préjudices nés après la réception de la demande faite à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination.

En pratique, les salariés ne seront indemnisées que pour la période qui sépare la demande faite à l’employeur de faire cesser la discrimination du jugement, c’est-à-dire pour quelques mois. S’ils souhaitent obtenir la réparation de leurs préjudices sur la période antérieure, ils doivent s’adresser au Conseil de prud’hommes, dans le cadre d’une action individuelle.

En corollaire à cette limitation dans le temps, la loi prévoit que la mise en œuvre d’une action de groupe suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des mêmes manquements. Par conséquent, les salariés qui n’ont pas, à l’issue de l’action de groupe, vu leur préjudice réparé, peuvent agir individuellement contre l’employeur.

2. Les titulaires de l’action

Contrairement aux « class actions » américaines, la loi limite strictement le champ des demandeurs à l’action de groupe. Cette approche s’inscrit dans le modèle français de l’action de groupe, qui repose sur l’existence d’un filtre, afin d’éviter l’engagement abusif d’actions susceptibles, par leur retentissement médiatique en particulier, de déstabiliser les employeurs mis en cause.

Ce souci d’éviter l’assignation permanente des employeurs se traduit également par l’irrecevabilité de toute nouvelle action de groupe qui se fonde sur le même fait générateur, le même manquement et les mêmes préjudices.

Dans ce cadre, la loi donne une place prépondérante aux organisations syndicales représentatives, qui bénéficient ainsi du monopole de l’action s’agissant des salariés. L’action est également ouverte aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap, mais uniquement pour la défense des intérêts des candidats à un emploi ou à un stage.

3. L’obligation préalable de tenter une négociation avec l’employeur

Préalablement à l’introduction de l’action de groupe, l’organisation syndicale représentative ou l’association doit demander à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination alléguée. C’est ainsi que la CGT a d’ores-et-déjà invité la société Safran Aircraft Engine à négocier sur des outils pertinents de comparaison des carrières, ceci dans l’objectif affiché de « forcer au dialogue social car les employeurs sont toujours dans le déni ».

Dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette demande, l’employeur doit informer le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, ainsi que les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. En outre, en cas de demande de ces derniers, l’employeur est tenu d’engager une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination invoquée.

L’action ne peut être introduite qu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de cette demande ou à compter de la notification par l’employeur du rejet de celle-ci. Ce délai peut toutefois sembler particulièrement long, dès lors que l’employeur considère qu’il n’existe aucune situation de discrimination. Cette obligation préalable de négocier est toutefois intéressante puisqu’elle permet ainsi aux employeurs qui le souhaitent de corriger en amont plutôt que d’être sanctionné a posteriori et incite, ce faisant, à amorcer un dialogue dans l’entreprise.

4. Le déroulement de l’action

Lorsque le juge constate l’existence d’un manquement, il peut faire injonction à l’employeur, éventuellement sous astreinte :
− De faire cesser le manquement ;
− Et de prendre, dans un délai qu’il fixe, les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l’aide d’un tiers qu’il désigne, dont le coût de la mission est fixé par le juge et mis à la charge de l’employeur.

Lorsque l’action tend à la réparation des préjudices subis, le juge statue sur la responsabilité du défendeur.
Source : Actualités du droit